Les innovations, qu’importe leur domaine, connaissent tous la même courbe d’adoption. Cette courbe décrite pour la première fois en 1962 par Everett Rogers se constate également dans notre métier. Langages, frameworks, architectures, technologies, les nouveautés sont nombreuses. Comment les appréhender, les maîtriser et encore mieux, les anticiper ? C’est ce que nous allons découvrir en parcourant les différentes méthodes d’apprentissage.
Innovators | Early Adopters | Early Majority | Late Majority | Laggards | |
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Magazines | +++ | ||||
Conférences | + | +++ | ++ | ||
Blogs | ++ | +++ | ++ | ||
MOOCs | + | +++ | +++ |
Les livres
Les livres n’arrivent qu’une fois un intérêt notable constaté pour son sujet. Les ventes espérées conditionnant la publication d’un livre, il n’est pas étonnant de ne les voir appaître qu’une fois la courbe déjà bien entamée. Les livres jouent donc un rôle clé pour les Early et Late Majorities. Les Early Adopters ne sont pas en reste grâce à certains livres qui parviennent à tirer leur épingle du jeu.
Que deviennent les livres ?
Les livres très techniques, très proches d’une technologie, chutent en suivant la même courbe. Faute de vente, les éditeurs cessent parfois même de les commercialiser.
Ce n’est heureusement pas le cas de tous les ouvrages publiés. D’autres livres perdurent dans le temps et constituent un témoignage du passé, pour nous aider à comprendre l’évolution de l’informatique, comprendre les erreurs passées ou tout simplement pour redécouvrir des classiques intemporels qui nous apprennent à chaque lecture quelque chose de nouveau. Ces livres d’exception se détachent complètement de cette courbe d’adoption.
Les magazines
Cette catégorie regroupe les deux associations les plus renommées : ACM et IEEE.
Pour vous donner une vague idée, ACM (Association for Computing Machinery) tend davantage vers le software alors que IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers) tend davantage vers le hardware. En pratique, la séparation n’est pas si évidente d’autant plus que les slogans respectifs sont très proches :
- ACM : Advancing Computing as a Science & Profession
- IEEE : Advancing Technology for Humanity
L’objectif de ces associations est simple : rendre accessible au plus grand nombre les derniers résultats de la recherche. A moins de s’attaquer directement aux publications scientifiques peu abordables, difficile d’être plus en amont sur la courbe. C’est donc la tranche des innovators qui est concernée.
Les deux associations publient tous deux un magazine mensuel phare : Communications of the ACM et IEEE Spectrum. Pour aller plus loin, de nombreuses revues spécialisées sont également proposées. ACM regroupe près de 40 SIG (Special Interest Groups) consacrés par exemple à l’implémentation des langages de programmation (SIGPLAN).
Que contiennent ces magazines ?
Le mieux pour se faire une idée est de parcourir le sommaire. Prenons les numéros actuels :
Le contenu est bien différent de ce que propose par exemple le magazine français Programmez.com. Pas de framework ou langage mis à l’honneur mais plutôt une collection d’essais de 2 à 10 pages. C’est avant tout des idées que l’on vient chercher dans ces revues.
Un exemple : CACM, Novembre 2009. Mitchel Resnik et ses collègues nous livraient "Scratch: Programming for All". Ce n’est que 3 ans plus tard que je découvre l’outil grâce à l’initiative devoxx4kids. Dommage...
Lire CACM aujourd’hui, c’est s’exposer aux idées qui feront avancer notre profession demain.
Un devoir de mémoire
Les premiers livres ne remontent véritablement qu’au début des années 70. L’ACM fondé en 1947 a longtemps été la principale source d’information pour partager les découvertes. Les débuts de CACM remontent eux à 1958. Aujourd’hui, l’ACM et son magazine sont tout simplement indispensables pour nous permettre de revenir aux sources de notre discipline.
Les blogs
Omniprésents depuis les années 2000, les blogs sont le moyen le plus simple pour partager de l’information au plus grand nombre. L’auteur s’exprime en toute liberté sans subir les enjeux financiers liés à la publication d’un livre. C’est nettement plus facile de publier un post sur le tout dernier framework que de convaincre un éditeur.
Les blogs jouent donc un rôle clé pour les Early Adopters et se révèlent même capital pour les innovators. Je pense en particulier à Startup Lessons Learned, le blog d’Eric Ries, à l’origine du mouvement Lean StartUp, qui dès 2008 publiait les idées qui donneraient naissance au grand classique qu’on connait tous aujourd’hui.
La plupart des auteurs ont tous un blog. Certains sont complémentaires aux ouvrages publiés. C’est le cas du blog de Martin Fowler, qui régulièrement présente les tendances avec toujours cette clarté d’expression que j’admire. D’autres blogs sont l’occasion pour l’auteur de tester le contenu, un peu à la manière du Lean Publishing pour conduire ensuite à un livre reprenant les mêmes idées (Signal vs Noise/Rework). Le site LeanPub permet même de créer un livre à partir d’un blog (le premier livre publié sur LeanPub n’est autre que le blog d’Eric Ries, qui a également conseillé le nom du site).
Vous l’aurez compris, les blogs ont un vrai potentiel. Le problème est de réussir à identifier les blogs intéressants. Nombreux sont ceux qui meurt inlassablement. Pas de solution miracle mais un précieux aillé : Twitter. Les auteurs de livres tweetent bien évidemment leurs posts mais aussi des posts d’autres auteurs. C’est l’occasion de découvrir d’autres blogs, d’ajouter les auteurs à vos abonnements et ainsi de suite. Pour les personnes intéressées, je retweete régulièrement certains de ces posts. N’hésitez pas à parcourir mes abonnements pour ajouter certains auteurs à vos abonnements.
Les conférences
Les conférences fleurissement aux quatres coins du monde. Entre les conférences majeures comme le QCon et les meetups locaux, il y a de quoi ne plus savoir où tourner la tête. Difficile de faire sans les conférences pour découvrir les derniers frameworks ou les tendances émergentes. Les organisateurs de ces événements sélectionnent et nous concoctent le meilleur programme qui soit. Prenons l’exemple du QCon San Francisco 2012. James Lewis présenta alors les Microservices. La plupart d’entre nous ne les découvrira qu’en mars 2014 à travers le post co-écrit avec Martin Fowler, soit 18 mois plus tard...
Les conférences (en live) s’adressent donc aux Innovators et Early Adopters. Leur publication en ligne intervient généralement après une période de quelques mois qui peut aller jusqu’à une année complète. Le temps nous faisant progresser dans la courbe, ce sont alors les Early Majority qui sont visés.
Les cours en ligne
Parmi les cours en ligne, on peut citer les MOOCs qui remportent un succès remarquable ces dernières années avec en première ligne Coursera et edX. On découvre aussi des sites avec abonnement mensuel qui nous propose un apprentissage très ludique. C’est le cas du site codeschool à qui ont doit le cours gratuit AngularJS ou l’excellent tutoriel Git proposé par GitHub.
Une chose est sûre, l’investissement pour mettre en place ces cours est conséquent. Pas question de cibler un nombre restreint d’étudiants, c’est donc les Early Majority et Late Majority qui bénéficient le plus de ces cours en ligne. Pas question également de miser sur des solutions peu répandues. On repose sur ce qui marche et on s’y tient. Il faudra se tourner vers les livres et conférences qui offrent un éventail bien plus large de possibilités.
Mais là encore, quelques exceptions. Avec Principles of Reactive Programming, Martin Odersky et al. nous éveillaient dès novembre 2013 à un style d’architecture qui n’a pas fini de faire parler de lui. Le premier livre référence sur le sujet n’arrivera lui qu’au printemps 2015...
Et les formations classiques ?
Sans être apparent dans le tableau initial, les formations, proposées par exemple dans le cadre du DIF, se rapprochent fortement de cette catégorie. Rentabilité oblige, difficile de proposer une formation quand la demande ne se manifeste pas.
Zoom sur le radar ThoughtWorks
Suivre son intuition pour déterminer les prochaines tendances est important. Écouter l'opinion d'autres personnes l'est tout autant, si ce n'est plus. Le radar ThoughtWorks est tout simplement excellent pour cela. Tous les 3 mois, une nouvelle édition avec chaque fois les technologies à suivre réparties en 4 catégories : Techniques, Tools, Platforms & Languages/Frameworks. Une mine d'informations très précieuse à ne surtout pas manquer. Abonnez-vous dès à présent pour être averti des prochaines éditions.
Le mot de la fin
Couvrir l’intégralité de la courbe requiert plusieurs méthodes d’apprentissage. Les livres occupent logiquement une place prépondérante mais font cruellement défaut quand il s’agit d’anticiper la courbe. Le Lean Publishing aide à combler ce manque mais les conférences et blogs restent plus efficaces. Pour les plus aventureux, rejoindre une des deux associations présentées constitue un bon investissement à condition de s’accrocher.
En effet, la difficulté d’apprentissage croît au fur et à mesure qu’on l’on se positionne en amont de la courbe. On est loin des cours de CodeSchool où s’initier aura rarement été aussi facile. Les sources d’informations se font souvent rares mais l’investissement en vaut vraiment la peine. Plus les connaissances sont acquises tôt et plus elles seront bénéfiques longtemps.